Cinquième de couverture
Matthieu Dhennin

Entretien avec Matthieu Dhennin

Suite à ma lecture de Saltarello, j’ai eu envie de poser quelques questions à Matthieu sur ce roman et le travail qu’il a effectué dessus.

Dans l’épilogue, tu écris : « Il était temps, donc, de réhabiliter la mémoire de Nicolas Flamel. » Comment as-tu connu cette personnalité française du Moyen-Âge ? Pourquoi vouloir réhabiliter sa mémoire ?

Ma première adresse à Paris en 1999, après mes études à Lille, fut le 41 rue de Montmorency, j’étais donc voisin de « l’Auberge Nicolas Flamel« , et je croisais le personnel de ce sympathique restaurant le matin et le soir, en sortant ou en rentrant chez moi. Malgré les changements de propriétaires, l’esprit du lieu est resté, et aujourd’hui plus que jamais, c’est une excellente adresse, d’un très bon rapport qualité prix pour un dîner aux chandelles, en amoureux 🙂

Voilà donc comment j’ai fait la connaissance du « personnage ». Mais pourquoi le réhabiliter ? En fait, si ce personnage a réellement existé, il a toujours été entouré d’un folklore d’alchimie assez incroyable. Le mythe du « faiseur d’or », de l’alchimiste qui aurait découvert la pierre philosophale – et donc le secret de la vie éternelle – est tenace, fascine. Il dure depuis 600 ans ! On le retrouve jusque dans Spirou et Fantasio (« le faiseur d’or ») ou dans Harry Potter (« l’école des sorciers », ou plutôt en VO : « the philosopher’s stone »). D’où l’idée, d’abord, de comprendre qui était réellement cet homme, puis pourquoi et comment avait-il pu engendrer un tel imaginaire, de tels phantasmes, aussi longtemps après sa mort ?

Comme je le dis dans mon billet, lorsqu’on te lit, on a vraiment l’impression de plonger dans le Paris du XIVème siècle. Comment t’y es-tu pris pour te documenter sur le Paris de cette époque, sur l’alchimie, la cuisine, la musique, l’astrologie, etc. ?

Le premier aspect de ma documentation quand j’ai commencé à travailler sur ce roman, fut donc l’alchimie. Qu’en était-il réellement au XIVème siècle, était-ce pris au sérieux, était-ce une science, un passe-temps pour bourgeois désoeuvrés, ou bien n’était-ce qu’une façon codée, symbolique, pour parler de choses plus sérieuses, comme une sorte de religion païenne. C’est ce dernier point que j’ai voulu traiter, et je me suis amusé, à mon tour, en encodant mon texte avec la symbolique des figures du tarot. Ensuite, par extension, et pour rester réaliste sur l’époque que je voulais décrire, je me suis documenté sur tout ce qui constituait le demi-siècle où se déroulait mon histoire.

Ce n’était pas forcément évident, car si la documentation sur l’histoire de France abonde dès Jeanne d’Arc, avant elle, c’est beaucoup plus difficile. Je me suis donc procuré tout un ensemble d’ouvrages très sérieux sur cette époque, comme les biographies des rois Jean II, Charles V et Charles VI, sur Christine de Pizan, le duc de Berry, bref les contemporains de Nicolas Flamel. Ce faisant, j’ai découvert d’autres personnages contemporains sur lesquels il y avait très peu d’information, mais dont je me disais très vite qu’ils auraient un potentiel romanesque important : Nicole Oresme, qu’on pourrait surnommer le Einstein du XIVème siècle, Jean Fusoris, un inventeur de génie, Taillevent, l’auteur du premier livre de recettes.

L’étude de tous ces personnages m’a convaincu que cette période de l’histoire était loin d’être aussi « sombre » et austère que l’on se fait habituellement du Moyen Âge. Les arts et les sciences n’étaient pas à l’abandon, et il se passait des choses remarquables. Certes, il y avait la peste noire et la guerre de Cent Ans, mais ça bougeait. D’autres personnages se sont rajoutés, personnages fictifs, mais nés des documentations que j’ai consultées ou des lieux décrits. Comme le boucher Aubry Haussecul, par exemple, en hommage au quartier de la Boucherie (corporation très puissante), et à la rue « Aubry le Boucher », près de Beaubourg.

Enfin, pour le côté « réaliste » des descriptions, j’ai retravaillé mon texte avec une médiéviste du CNRS qui a fait un travail remarquable. Cette personne avait déjà travaillé sur le tournage du Nom de la Rose, de Jean-Jacques Annaud, et elle est spécialisée dans la vie quotidienne au Moyen Age. J’ai eu de la chance qu’elle accepte ma demande de relecture ; elle l’a fait avec grand enthousiasme et m’a permis de débusquer les moindres anachronismes, de proposer un vocabulaire adapté aux circonstances, d’ajuster certains dialogue

Combien de temps a duré la phase de documentation ? et celle d’écriture ?

Ma phase de recherches et de documentation initiales a duré un an ; celle d’écriture, un an aussi. Quand je m’y mets, je m’astreins à écrire une ou deux heures, chaque soir. Le résultat n’est pas toujours bon, et parfois je n’en garde rien, mais ce n’est qu’avec cette discipline que j’ai la sensation d’avancer.

(et puis j’ai un boulot, aussi, dans la journée, donc je ne peux pas faire de miracles)

Après la phase d’écriture, il y a eu la phase de relecture/correction avec la médiéviste (6 mois), puis avec l’éditeur (6 autres mois) avec qui on a fait des retouches très localisées sur les enchaînements, le rythme ou la ponctuation.

Trois ans de travail, donc, en tout.

Tu écris ici un roman historique. Est-ce un genre que tu affectionnes tout particulièrement en tant qu’auteur ? Comptes-tu continuer dans cette voie-là ?

J’avoue que c’est un genre que j’ai adoré écrire, mais qui requiert une somme de travail beaucoup plus importante qu’un roman contemporain.

Je ne dis pas que je n’en écrirai pas d’autres (j’ai des projets), mais je souhaite aussi explorer d’autres territoires.

Est-ce aussi un genre que tu affectionnes en tant que lecteur ?

Oui, mais pas uniquement. Comme lecteur, je recherche surtout un style, une créativité. Tant que je suis porté par un récit, j’adhère.

J’ai aussi un côté « auteurs cultes » dont je lis tous les livres de façon compulsive.

As-tu de nouveaux projets d’écriture ? Lesquels ?

Oui, plein 🙂

Par superstition, je ne veux pas trop dévoiler, mais j’ai déjà achevé deux autres romans ; l’un est un roman semi-historique (plusieurs histoires se mêlent et se répondent, dont certaines sont contemporaines, et d’autres historiques) ; l’autre est purement contemporain, et le début – si tout va bien – d’une série avec des personnages à qui je compte faire vivre d’autres aventures.

Mais ces manuscrits sont dans mon tiroir, pour l’instant, et je n’en ai pas encore parlé à mon éditeur ; une chose à la fois, n’est-ce pas ?

Oui, Matthieu, une chose à la fois ! Mais tu sais, lorsqu’on vient de fermer un roman qui nous a enthousiasmé, la première chose (ou presque) qui nous vient en tête, c’est : « Encore ! » En tout cas, je te souhaite de rencontrer le succès avec cet excellent premier roman.

Cette entrée a été publiée le 30 novembre 2009 à 5:01 . Elle est classée dans Culture, Littérature et taguée , , , , , . Bookmarquez ce permalien. Suivre les commentaires de cet article par RSS.

12 réflexions sur “Entretien avec Matthieu Dhennin

  1. Le , erzébeth a dit:

    « D’où l’idée, d’abord, de comprendre qui était réellement cet homme, puis pourquoi et comment avait-il pu engendrer un tel imaginaire, de tels phantasmes, aussi longtemps après sa mort ? »

    Je refuse de croire que le créateur de la pierre philosophale soit mort. Quoi qu’en disent Matthieu Dhennin et Dumbledore. 😉

    (cet entretien intrigue encore plus, merci !)

  2. Et c’est qui, la médiéviste? A moins qu’elle ne veuille rester anonyme…
    Et oui, bien sûr, le Moyen Age est tout sauf une époque sombre!!!!

  3. Caro, je me permets de répondre moi-même 🙂
    La médiéviste est Danièle Alexandre-Bidon, dont vous trouverez quelques informations là : http://gam.ehess.fr/document.php?id=118
    Matthieu

  4. Le , Melanie B a dit:

    Intéressant, cet entretien. Merci Caroline !

  5. Je trouve ça super que Matthieu ait répondu aussi complètement à tes questions, c’est vraiment chouette pour nous le faire découvrir (même si je le connais déjà un peu, grâce à toi! 😉 ).

  6. Pingback: Le potentiel livresque de Matthieu Dhennin | Cinquième de couverture

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